Mbappé-Pesquet, en direct des étoiles
lundi 7 juin 2021
Résumé de l'article
L'astronaute français Thomas Pesquet et l'attaquant de l'équipe de France Kylian Mbappé bavardent avant l'EURO. On était là !
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Il a beau venir d'une autre galaxie et travailler au quotidien pour encore quelques semaines dans la Station spatiale internationale (ISS) au-dessus de nos tête, le pilote français Thomas Pesquet va suivre l'EURO et supportera les Bleus.
Alors quand nous lui avons proposé un court échange avec Kylian Mbappé, le Rouennais, 43 ans, fan de sport a sauté sur l'occasion. Mêmes yeux ronds pour le champion du monde et demi-finaliste de la dernière Champions League avec Paris. « J'ai des tas de questions à te poser », s'enthousiasmait d'entrée le natif de Bondy. Voici la suite de la conversation. Laboratoire Columbus pour le scientifique, Clairefontaine pour le buteur.
Kylian : Bonjour Thomas, enchanté. C'est fou c'est incroyable de regarder les images et de te voir comme cela.
Thomas : Écoute, c'est un plaisir pour moi aussi. Il n'y a pas eu de footballeur pro dans la station, mais nous avons des ballons de foot (les deux hommes se voient et Pesquet joue avec un ballon de l'EURO). Tu es un peu le premier à faire partie d'un vol spatial par ballon de football interposé, donc félicitations (sourires)
Kylian : C'est fou ! Je n'en crois pas mes yeux. C'est la première fois que je vois ça et je suis vraiment épaté. Déjà qu'est-ce que ça fait d'être dans l'espace ? Nous, on est en bas, on vous regarde.
Thomas : C'est plein de sensations. Une mission de six mois ça commence de manière phénoménale avec le lancement. C'est comme un tour de manège puissance 10 000. L'accélération, les vibrations, tu es collé à ton siège. Tu es dans une fusée. C'est comme être sur un missile qui te propulse dans l'espace. C'est fantastique. Après, quand tu arrives dans l'espace, c'est le calme, tout se met à flotter, tout est serein, tout est facile. Tu t'affranchis des limites de ton corps. Tu peux soulever des charges super lourdes. Évidemment, tu ne ressens pas les effets du poids. Tu peux voler. C'est un peu comme dans un rêve.
Évidemment, c'est un peu un parallèle avec la carrière de footballeur, chaque fois qu'il y a un rêve, derrière il y a aussi beaucoup de boulot, pour se préparer à aller dans l'espace, on bosse énormément. C'est un peu comme vous, tu sais, il n'y a pas que soulever des trophées et passer à la télé. Je sais que dans la vie de tous les jours il y a énormément de boulot.
Kylian : C'est clair, c'est clair, j'imagine. Sinon il y aurait beaucoup de monde qui serait dans l'espace, non (sourire) ? J'ai appris que vous étiez plusieurs. Ça doit être une communication extrême. Je pense que chaque détail compte et que vous devez beaucoup communiquer. J'ai appris que vous êtes à quatre ou cinq c'est ça, non ?
Thomas : Oui, nous sommes partis à quatre et on a rejoint trois collègues, dans la station. Il y a plein de nationalités, ça parle un peu toutes les langues évidemment. Dans la vie de tous les jours, on parle pas mal en anglais et on parle aussi en russe. La communication c'est important. J'imagine que c'est comme pour toi dans un club où il y a plein de nationalité. Il faut communiquer de manière correcte sur le terrain et faire passer ses messages.
Kylian : C'est très important. Tu dois t'adapter à chacun, comprendre la culture de chacun parce que chacun vient de régions différentes. De pays, de continents différents même parfois. Il faut tout de suite adapter, même si parfois, je pense que c'est la même chose pour vous, tu es en manque de temps et tu dois t'adapter le plus vite possible.
Thomas : Tu sais, on va vivre six mois en tout un peu en vase clos, entre nous, en groupe. Je sais que vous dans une grande compétition c'est un peu la même chose. Le stage de la compétition, l'isolement, certains de tes coéquipiers sont tes amis, d'autres, tu ne les as pas choisis. Il faut gérer la pression. Comment cela se passe pour vous ? Nous on s'entraîne beaucoup au sol.
Kylian : Oui, je pense que c'est important de toujours créer une atmosphère qui permet à chacun de s'épanouir. Je pense qu'au bout d'un moment, c'est pareil pour vous, on a toujours besoin d'une personne. Il y a toujours un moment donné quelqu'un qui va apporter sa spécificité au groupe. C'est important pour ça de créer un cadre pour que tout le monde puisse s'épanouir. Tu peux avoir besoin de n'importe, qui n'importe quand. C'est comme ça que tu gagnes et que tu peux durer. Je pense que c'est pareil dans l'espace.
Thomas : Il y a une chose que l'on fait nous aussi, et que vous devez faire, c'est le suivi médical. La santé, c'est très important pour nous. Nous sommes étudiés sous toutes les coutures. Il y a des médecins et des kinés qui nous suivent en permanence. On passe des dizaines d'examens pour être sûrs qu'une fois que nous sommes dans l'espace, tout va bien se passer. Comment ça se passe pour vous ?
Kylian : Oui, il y a toujours cette pression, mais c'est avant tout une passion. On se dit qu'on a peur de ne pas pouvoir exercer notre passion. Nous sommes suivis par un staff médical, un docteur, des kinés, des ostéopathes, on a un confort non négligeable. Il faut toujours être reconnaissant par rapport à ça. C'est vrai qu'il y a toujours cette anxiété de se dire qu'on espère que tout va bien se passer et qu'il n'y aura pas de pépin.
Thomas : Je me rappelle de ce fameux coup franc de Roberto Carlos qui a contourné le mur avant d'entrer dans le but (en 1997 au tournoi de France lors d'un France - Brésil à Saint-Denis). Il y a le côté aérodynamique qui m'a beaucoup intéressé, avec des scientifiques qui se sont penchés là-dessus. C'est un geste répété. Mais voilà je voulais te demander sur le côté travail pour le joueur ce que cela représente.
Kylian : Il y a beaucoup de travail, c'est clair, on part très jeune de la maison, on a tous ce rêve. On veut devenir footballeur, on va devenir de grands joueurs. Après, il y a beaucoup de travail, beaucoup de sacrifices, il y a aussi beaucoup de chance, une part de chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, faire la bonne rencontre au bon moment qui va te faire passer dans une autre dimension. C'est un package. C'est cela aussi qui fait que nous ne sommes pas nombreux. C'est un métier très difficile. Il faudrait aussi qu'on montre parfois quand ça ne marche pas. Il y a beaucoup de personnes qui ont commencé très tôt et qui malheureusement ne sont pas devenues des footballeurs parce que c'est très difficile. La marche est très élevée. Il ne faut pas seulement du talent, du travail, il faut aussi ce brin de chance. Même si la chance se provoque. Je pense qu'il faut tout ça pour permettre d'envisager une carrière.
Thomas : Je suis carrément d'accord avec toi. Je ne sais pas si tu as des questions, moi j'en ai plein. Je me posais la question sur les statistiques. Je sais que les joueurs sont suivi par des GPS. On connaît leur vitesse, et la distance parcourue. Tout est mis en statistiques. Cela me parle un peu parce que j'ai une culture scientifique. C'est quelque chose que je connais. À quel point cela est-il devenu important ?
Kylian : C'est omniprésent. C'est devenu une référence. Aujourd'hui, c'est devenu un point de repères pour des tests. On peut individualiser notre travail en fonction de nos tests, de nos résultats, pour voir quelle progression nous pouvons atteindre sur une saison. Il y aussi le suivi de de la nutrition, du sommeil. Rien n'est laissé au hasard dans le football d'aujourd'hui. Je suis professionnel depuis quatre ou cinq ans, je vois déjà cette évolution. Alors pour les plus anciens...
C’est vraiment quelque chose qui a pris une place prépondérante dans le monde du foot. Mais moi j’ai une question aussi, c’est : qu’est-ce que vous faites dans l’espace ? Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que vous cherchez ? Est-ce que vous avez fait déjà des découvertes ? C’est important pour moi aussi, j’ai plein de questions.
Thomas : Ouais, c’est clair. Écoute dans la station en ce moment on fait pas mal d’expériences, on fait pas mal de médecine, sur la physiologie ou sur les cellules souches. Tu sais, en fait on se rend compte qu’aller dans l’espace, c’est un phénomène… Six mois dans l’espace, c’est comme si ton corps vieillissait de dix ans, pour tes artères, ta circulation cardiaque, parfois la vue, la perte musculaire, tu perds des muscles parce que tu t’en sers pas. Tu perds des os parce que t’as pas besoin de supporter le poids de ton corps, la charge de ton corps, les accélérations de la course en permanence donc on s’atrophie un petit peu. Alors on fait du sport tous les jours, on pourra en parler aussi, mais ça en gros c’est un modèle du vieillissement accéléré, et surtout du vieillissement qu’on peut récupérer. Moi quand je reviens au sol je me remets en forme. Si tu veux, c’est un peu comme un retour de blessure, on va dire, et j’arrive à revenir à mes caractéristiques d’avant la mission. Donc les scientifiques adorent parce qu’en regardant ce qui se passe dans les cellules, dans l’ADN, etc. ils pensent qu’on pourra peut-être découvrir la clé du vieillissement. Donc ça c’est un thème, il y en a plein d’autres. Il y a la science des matériaux, on fait des alliages, on plein de trucs. Tous les jours, je fais quatre ou cinq expériences différentes dans la station.
Kylian : C’est bien, il faut trouver vite parce que moi je vais bientôt vieillir, j’ai besoin de savoir (rires).
Thomas : T’as encore de la marge.
Une question Thomas. Kylian Mbappé qui aime la vitesse, etc. Avec l'apesanteur, il ne serait pas un peu triste de faire tout au ralenti ?
Thomas : Oui, je pense. On peut aller vite, mais le problème si tu veux, c’est qu’une fois qu’on est en apesanteur, c’est action-réaction, donc je peux pousser contre un mur, ça va m’envoyer de ce côté-là, mais tant qu’il n’y a rien de ce côté-là, je ne vais pas m’arrêter donc tu fonces tout droit, ça c’est très bien. Mais si jamais tu veux prendre un virage et que tu le rates, tu as tendance à te crasher. Au début, les gens dont c’est la première fois dans l’espace, ils ont tendance à se crasher un peu donc la vitesse, si tu veux, ça se maîtrise. Mais à mon avis c’est comme sur Terre, ça s’acquiert mais ça se maîtrise. Après, pour le football, je te promets qu’on a essayé avec mes collègues, c’est pas génial. C’est vraiment un jeu qui est fait pour être joué sur la Terre. Tu sais, rien que faire des jongles en apesanteur, ça n’a absolument aucun intérêt. La balle, elle monte mais elle redescend jamais. Pareil pour les tirs, pareil pour tout ça. Écoute, je ne sais pas Kylian si tu serais très heureux ici. Je ne sais pas si tu as envie d’aller dans l’espace mais en tout cas ce ne sera pas pour jouer au football.
Kylian : Non, non, non, pas pour jouer au football. Il y a d’autres choses que le football dans la vie. Mais ce serait une expérience inimaginable, ce serait incroyable. Ah oui, c’est quelque chose de fou. Je vois le ballon qui bouge depuis tout à l’heure, j’ai pas les mots.
Thomas : Ouais mais tu vois, c’est pas facile à maîtriser en apesanteur. Moi, déjà, je suis très mauvais au football. Si tu veux, c’est mon frère qui était bon au football. Là, c’est encore pire. Je t’avoue que j’essayé avec mes collègues. Je te promets, le week-end on a essayé un petit peu, ça fait un peu comme des buts et tout ça mais vraiment, ça marche pas génial. À part pour les retournés acrobatiques, là pour le coup on a un avantage mais c’est vraiment le seul truc pour lequel on a un avantage.
Kylian : Ça doit être pas mal les matches de foot dans l’espace. Donc vous faites des tranches de six mois, c’est ça ? Six mois, vous rentrez, et vous repartez après à chaque fois, c’est ça ?
Thomas : Ouais, c’est ça. Pour nous la particularité si tu veux… Imagine, c’est comme pour une grande compétition, c’est comme pour la Coupe du Monde, sauf que nous en gros on n’a pas de matches, on ne fait que s’entraîner pendant des fois des années avant d’aller dans l’espace. Donc imagine c’est comme la Coupe du Monde mais tu ne fais aucun match, tu ne fais que les entraînements pendant six ans ou sept ans et après paf, tu joues la Coupe du Monde. C’est un peu ça notre vie. Une mission dans l’espace, c’est un peu notre Coupe du Monde à nous, mais tu ne peux pas aller dans l’espace pour te préparer, donc on se prépare au simulateur, on se prépare, on fait du sport, on fait du footing, on fait plein de choses. On se prépare physiquement, intellectuellement, psychologiquement. Mais ce n’est quand même que de l’entraînement. Donc c’est un peu ça le rythme. Après, une fois qu’on est six mois dans l’espace, il faut quand même six mois pour s’en remettre physiquement si tu veux, parce qu’on l’a dit tout à l’heure, c’est un peu difficile pour le corps. Et après tu reprends ta place. Des missions dans l’espace, il n’y en a pas tous les jours. On est plusieurs, donc c’est un peu chacun son tour. Et ensuite, tu peux peut-être en faire deux, trois, allez quatre si t’as de la chance dans ta carrière. Et puis après, tu as un peu passé l’âge. On peut aller dans l’espace jusqu’à un certain âge, tant qu’on passe la visite médicale c’est bon. Même s’il y a des plus jeunes qui poussent derrière, à eux de montrer qu’ils savent faire. Mais ouais, c’est quelques missions et le reste du temps c’est beaucoup d’entraînement, beaucoup de boulot, mais un peu dans l’ombre si tu veux.
Kylian : Oui, dans l’ombre mais comme partout, c’est la passion. On s’en fout de la lumière tant qu’on aime ce qu’on fait. Je pense que c’est le cas vu le sourire que tu as, tu aimes ce que tu fais. La lumière après, ce n’est pas le plus important.
Thomas : Non c’est clair, je suis d’accord avec toi. Écoute, une question que moi j’ai si tu veux bien.
Thomas : Dans la mission, il y a un commandant de bord. En cas de coup dur, c'est lui qui prend une décision parce qu'il ne peut pas y avoir plusieurs chefs à bord. À la fin de la mission ce sera moi. C'est un peu similaire, enfin je me demande, à un capitaine d'équipe. Je me dis que les responsabilités sont un peu les mêmes. Quand les choses dégénèrent un peu, c'est à toi de parler. Quelle est ta vision de cela ? Il y a des joueurs qui sont des stars dans leur club et il faut gérer les ego...
Kylian : Bien sûr, j'ai eu la chance de jouer à Monaco, à Paris et en sélection. J'ai côtoyé des grands personnages. Capitaine, c'est un rôle de tous les instants, il faut être toujours là à éponger chaque problème, même quand ça se passe bien il y a du travail. Il y a toujours du travail. C'est le capitaine du navire, c'est toi qui es censé emmener les troupes, à rattraper ceux qui sont un peu derrière, tu dois encourager. C'est un travail de tous les instants et qui est beaucoup dans l'ombre. Tu ne récoltes pas tout de suite les lauriers de ton travail quand tu es capitaine. Il faut être prêt pour cela. Je pense qu'on ne choisit jamais les capitaines au hasard. Si on est choisi, que ce soit dans le foot ou dans la vie, c'est qu'on a vu qu'ils avaient les capacités pour mener les autres vers le haut, pour les tirer vers le haut.
Thomas : C'est clair, c'est un truc collectif.
Thomas : C'était super pour moi, chouette, je connais un tout petit peu le monde du sport, de loin, mais je crois qu'il y a des parallèles. On va sur la compétition. Tu vois, et j'ai déjà mon ballon. Mes collègues sont plutôt fans de football américain, mais t'inquiète pas, je leur explique. Bonne chance à vous, courage. Rendez-nous fiers, j'essaie de tout faire pour donner une bonne image de la France et je suis sûr que vous le ferez aussi.
Kylian : C'était vraiment un grand plaisir. J'ai beaucoup appris avec cette conversation. C'est une expérience inoubliable, juste de la voir, j'ai rempli mes yeux et mes oreilles.
Thomas : Merci les gars et à bientôt
Kylian : C'est fou, il vole