Recrutement à l’ère de l’IA : pourquoi ne peut-on pas se passer de l’intuition humaine ?
mercredi 10 décembre 2025
Résumé de l'article
Le Programme de recrutement de joueurs d’élite de l’UEFA a accueilli 32 participants venus du monde entier pour explorer les derniers défis inhérents à ce rôle et pour apprendre à optimiser l’identification des talents à l’ère des données et de la technologie.
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L’intelligence artificielle n’est plus un concept futuriste dans le football. Elle est bien présente et façonne la manière dont les clubs analysent la performance, gèrent les contrats et identifient les talents. Mais l’IA peut-elle vraiment changer la donne ? Ou est-ce que ce sont ceux qui arriveront à la maîtriser qui pourront être vecteurs de transformation ?
Cette question était au cœur du Programme de recrutement de joueurs d’élite de l’UEFA, qui s’est déroulé la semaine dernière à Lausanne, la capitale olympique. Cette formation de trois mois, organisée sous l’égide de l’UEFA Academy, a été conçue pour des recruteurs d’expérience, des entraîneurs et d’anciens joueurs. Proposant des cours spécialisés en ligne ainsi que des séances en présentiel à Londres, à Lisbonne et en Suisse (Nyon et Lausanne), ce programme allie théorie et expérience pratique pour préparer les étudiants à l’avenir du recrutement.
Les participants, qui comptaient parmi eux d’anciens internationaux comme Bafétimbi Gomis, Bernard Mendy et Maxime Chanot, ont été reçus par le club de première division suisse Lausanne-Sport et son directeur sportif, Stéphane Henchoz, ancien défenseur de Liverpool et de l’équipe nationale suisse. Le club de Lausanne, en lice cette année en UEFA Conference League, a offert un cadre réaliste pour des discussions sur les défis qui se posent lors du processus de recrutement et sur la manière dont la technologie, et en particulier l’intelligence artificielle (IA), est en train de modifier la manière dont les recruteurs identifient et évaluent les talents.
Un défi humain derrière le recrutement
Le directeur de la session, Luís Campos, ancien recruteur et analyste tactique du Real Madrid et actuellement conseiller sportif au Paris Saint-Germain, a résumé les plus grandes problématiques que les recruteurs peuvent rencontrer. Il ne s’agit pas de se contenter de détecter une aptitude technique, mais de prévoir dans quelle mesure un joueur va pouvoir s’intégrer à l’identité et à la culture d’une équipe. Une compétence qui ne peut pas être remplacée facilement par la technologie.
« La partie la plus compliquée du recrutement, c’est de projeter le potentiel d’un joueur au sein de notre environnement, a expliqué Campos. Il ne s’agit pas d’évaluer ce qu’il sait faire sur un terrain aujourd’hui, mais s’il dispose des qualités pour être en phase avec la philosophie et les besoins de mon club. »
Campos est l’un des trois directeurs de session, avec Les Reed et Paul Mitchell, qui ont dirigé les deux premiers volets.
L’IA : un outil puissant
« L’IA intervient dans nos activités au quotidien. La question ne se pose même pas », a déclaré Marco Otero, conseiller technique à la FIFA. « Tout ce qui est mesurable est fait beaucoup plus rapidement par l’IA que manuellement. Pour les grands clubs comme pour les petits, l’IA aide à aller plus vite. »
De l’automatisation de l’analyse vidéo à la modélisation prévisionnelle, l’IA permet d’accélérer certains processus qui, avant, prenaient des heures, voire des jours. Pour les agents, la même transformation a opéré. Yago Roma, agent de joueurs et alumnus du Programme de recrutement de joueurs d’élite de l’UEFA, explique : « J’ai commencé à utiliser l’IA de plusieurs façons : pour trouver des cas qui ont fait jurisprudence, pour comparer des contrats et pour récolter des informations sur différents marchés. L’IA rend mon travail plus efficace. »
Les limites de la technologie
Malgré sa rapidité et sa précision, l’IA a ses limites.
« Être un bon recruteur ou un bon entraîneur est un art. Même si les données disent que tel ou tel joueur est parfait, parfois, l’intuition a plus de poids, explique Otero. Aujourd’hui, l’IA ne peut mesurer que ce qui est binaire : des un et des zéros, mais le football est plein de nuances. Le potentiel n’est pas un nombre, c’est une intention. Et l’intention vit dans l’esprit d’un joueur. L’IA ne peut pas demander : quelle était ton idée ? C’est dans ce domaine que le point de vue de l’homme est irremplaçable, et l’IA est un outil pour améliorer l’efficacité. »
Roma acquiesce : « L’IA ne va pas changer le football, mais les gens qui vont savoir l’utiliser pourront le faire. En ce qui concerne les recruteurs, le défi consiste à maîtriser ces deux mondes : affûter son œil et son intuition tout en se servant de l’IA pour rendre son travail plus pointu.
» Quand on analyse un match avec l’IA et qu’on cherche un latéral droit, les données peuvent nous dire qui peut remplir ce rôle. Mais notre travail est d’aller au-delà des chiffres et de trouver le joueur qui ne brille pas à cause des consignes tactiques, mais qui a les qualités pour être excellent. C’est ce qu’on appelle le potentiel, et seule l’intuition humaine peut le détecter. »
Du point de vue des entraîneurs : l’efficacité n’est pas l’essence
L’approche est la même pour les entraîneurs : l’IA permet de gagner du temps, mais pas de révolutionner la fonction. Damien Della Santa, qui a fait partie du staff de l’équipe première de l’Olympique Lyonnais et de l’OGC Nice, n’y va pas par quatre chemins :
« Les ordinateurs n’ont pas changé le football, et l’IA ne le fera pas non plus. Le secteur évolue, mais l’essence du sport reste la même. »
Pour lui, la technologie permet de libérer du temps pour se concentrer sur ce qui est le plus important :
« J’utilise l’IA pour gagner du temps, et je m’efforce d’être plus humain. En passant moins de temps à compiler des données, je peux passer davantage de temps avec les joueurs sur le terrain. »
Mais il met en garde contre toute forme de confiance aveugle :
« Le plus grand danger est de dire : "L’IA dit que..." L’IA ne peut pas être créative. Elle ne peut reproduire que ce qui existe déjà. La créativité, la petite étincelle qui change le cours d’un match, doit provenir de l’esprit humain. »
Préparer l’avenir
Le Programme de recrutement de joueurs d’élite de l’UEFA reconnaît le besoin de trouver un équilibre entre la technologie et les qualités humaines. Cette initiative dote les recruteurs des outils leur permettant d’exploiter l’IA tout en préservant l’art de l’identification de talents. Car, dans le football comme dans la vie, la technologie peut faire progresser, sans jamais remplacer, la patte de l’homme.
D’ici à la fin de la formation, les participants vont avoir :
- une meilleure compréhension de l’écosystème du football et de sa gouvernance ;
- la maîtrise des principes clés du recrutement et de l’observation de matches, notamment l’identification des talents, l’analyse et la gestion du recrutement ;
- la capacité de produire différents types de rapports de matches (textes, animations, vidéos) ;
- la confiance nécessaire pour utiliser les technologies pour le suivi des données et des statistiques liées au football, et la connaissance des dernières innovations dans ce secteur en constante évolution.
À propos de l’UEFA Academy
S’appuyant sur l’excellence professionnelle que l’UEFA a développée au fil de son histoire et sur les programmes de formation mis en place au cours de la dernière décennie, l’UEFA Academy contribue à rehausser en permanence le niveau du football grâce à la formation des particuliers et des organisations.
Depuis sa fondation, l’UEFA Academy a formé plus de 4000 diplômés issus de 145 pays et propose 62 programmes de formation chaque année.