Du temps pour réfléchir : Robert Pirès
vendredi 3 juillet 2020
Résumé de l'article
La récente période d’inactivité sportive a donné à certains grands noms du football l’occasion de se pencher sur les expériences incroyables que le sport leur a offertes. Nous continuons notre série en nous entretenant avec l’ancien international français Robert Pirès.
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Corps de l'article
J’ai toujours aimé jouer au football. Encore aujourd’hui, dès qu’on a besoin de moi, je vais jouer.
Ça a été très dur de mettre un terme à ma carrière professionnelle. Mais ça va, je suis vraiment allé jusqu’au bout : j’avais 41 ans quand j’ai disputé mon dernier match, en Inde, pour le FC Goa.
De nombreux anciens joueurs me disaient : « Mais Robert, à un moment donné, il faut arrêter », et moi, je leur répondais : « Non, tant que physiquement je peux et tant que j’ai la motivation, je continuerai. »
Je conseille toujours aux joueurs de continuer. S’ils peuvent, et s’ils ont l’envie et la motivation, il faut aller jusqu’au bout. Que ce soit à 37, 40 ou 41 ans, il faut aller jusqu’au bout, c’est vraiment important. Parce que le temps passe vite, et, comme nous l’avons vu récemment, on ne sait jamais ce qui peut arriver qui vous empêche de jouer.
Et aujourd’hui, j’ai raccroché les crampons, mais je continue à travailler dans le football. Que ce soit en tant que consultant pour Canal+ ou en tant qu’ambassadeur pour Arsenal ou pour l’UEFA.
Et pour moi, c’est toujours une formidable expérience. Mais j’aimerais vous en dire un peu plus sur ma vie de footballeur.
Les premières années
Comme de nombreux enfants, c’est mon père qui m’a donné l’envie de jouer et de commencer à jouer au football. Il jouait pour une équipe locale, et à cinq ou six ans, je le suivais à tous ses matches.
Je prends ma première licence à sept ans, avec le club de l’EF Sainte-Anne, un quartier de Reims, ma ville natale. C’est là que tout commence.
J’accroche tout de suite parce que j’ai une certaine habileté balle au pied. Mon souvenir, c’est que je démarre sur un terrain synthétique rouge, et je suis surpris parce que je m’attends à jouer sur de l’herbe… Mes chaussures ne tiennent pas longtemps, ce qui me posera problème avec ma mère...
En 1983, j’ai dix ans et on est champion de France de notre classe d’âge avec Sainte-Anne. C’est exceptionnel. On joue en lever de rideau lors de la finale de la Coupe de France entre le Paris Saint-Germain et Nantes, au Parc des Princes. Rendez-vous compte, un club comme Sainte-Anne, de la banlieue rémoise, devient champion de France en battant le SC Bastia en finale, 3-0 !
Pour moi, c’est un super démarrage. Mais à cet âge-là, le plus important, c’est de jouer au foot. Ensuite, plus tu avances en âge, plus il faut te fixer des rêves et des objectifs.
Saisir sa chance
En 1992, au moment où je me dis que je peux passer professionnel avec le Stade de Reims, dans ma ville, le club dépose le bilan et est relégué. C’est un fâcheux contretemps, mais je pars à Metz, où je deviens professionnel à 19 ans.
C’est relativement tard par rapport aux standards d’aujourd’hui, mais je dois faire mes preuves à Metz. Avant d’arriver en équipe première, sous les ordres de Joël Muller, je jouais avec la réserve et j’étais au centre de formation. Ça a duré deux ans, durant lesquels j’ai joué, j’ai progressé et puis, à un moment donné, Joël Muller a eu besoin d’un milieu de terrain gauche. Il fait appel à moi.
J’ai un excellent souvenir de mon premier match professionnel, en juillet 1992, à domicile contre Lyon. C’est quitte ou double parce que les places sont chères et, à ce moment-là, je joue parce que l’un des titulaires est malade. On gagne 2-0 et mon aventure professionnelle commence ce jour-là.
Je sais désormais que je suis un joueur de première division.
Le chemin vers le sommet
Ce qui est dur, avec le haut niveau, c’est d’être régulier. Pour moi, l’objectif, c’est, à chaque match mais aussi à chaque entraînement, d’être performant. Et c’est comme ça que s’acquiert une longévité et surtout l’expérience.
Je sais aussi que ce qui m’a permis de progresser, ce sont les joueurs autour de moi. C’est important parce que, dans tous les clubs où j’ai joué, à chaque fois, à côté de moi, je n’avais que de grands joueurs. Ce n’est pas que je sois humble, mais que je sais que sans les autres, on ne peut rien faire.
Je suis resté six ans à Metz, parce que c’était important de jouer, parce qu’on me faisait confiance et surtout, parce que je disputais pratiquement tous les matches de la saison.
Malheureusement, en 1998, Metz n’est pas champion de France à la différence de buts avec le RC Lens et je sens qu’à ce moment-là, il faut partir. Il faut vivre autre chose. Ma carrière a été comme ça, étape par étape, à chaque fois.
Après Metz, je décide, en 1998, d’aller à l’Olympique de Marseille. J’ai besoin d’une autre pression, à tous les niveaux. À Marseille, j’ai été servi. Je ne regrette pas parce que je me suis régalé. La première saison, on avait une super équipe. La deuxième, ça ne s’est pas très bien passé.
En 2000, Arsène Wenger vient me chercher. Arsenal, c’est le plus gros club dans lequel j’ai pu évoluer. On a été champions, on a gagné des Coupes de la FA, on a fait une saison sans perdre un match...
Si j’ai réussi, à Arsenal, c’est parce que j’ai eu une bonne formation quand j’étais à Metz. Ensuite, bien sûr, on s’améliore, on travaille avec un entraîneur comme Arsène Wenger qui te fait progresser. C’est un ensemble.
À Metz, j’avais aussi la pression parce que, quand tu joues une, deux, ou trois saisons et que tu commences à t’installer, les gens commencent à voir ce que tu peux faire ou apporter, et ils attendent toujours plus de toi. Quoi qu’il arrive, ils te disent : « OK, tu as mis 10 buts, mais la saison prochaine, il faudra en mettre 12. » La saison suivante, ils te disent « Oui, tu as mis 12 buts… », et ainsi de suite. Chaque saison, j’ai une pression supplémentaire.
Je l’ai eue à Metz, je l’ai eue à Marseille et c’est vrai qu’à Arsenal, ça a été différent, mais ça a toujours été une bonne pression. Et à chaque fois, j’ai eu de la chance, parce que j’ai toujours été bien entouré, tant avec l’entraîneur qu’avec les joueurs.
Je reviendrai après sur l’équipe nationale, mais j’ai beaucoup appris avec Zinédine Zidane et Youri Djorkaeff et, en club, avec des joueurs comme Philippe Vercruysse, à Metz. À Marseille, j’étais aussi bien entouré avec, par exemple, Christophe Dugarry, Fabrizio Ravanelli ou Laurent Blanc, donc c’est plutôt pas mal !
Mais après, l’un des plus forts, il n’y a pas de surprise, c’est quand même Dennis Bergkamp.
Dennis, tous les matins, pour moi, ça a été un pur plaisir. J’aime ce style de joueurs. Pour moi, le football, c’est ça.
Parmi les adversaires, celui qui m’a le plus impressionné a été Ronaldinho. Un vrai magicien. C’était tellement simple, ce qu’il faisait. Et tellement beau à la fois qu’en fait, pour moi, c’est un des meilleurs joueurs de la planète football.
Matches internationaux, blessures et regrets
Pour moi c’était une fierté de pouvoir jouer en équipe de France. Soyons honnêtes, quand j’étais champion de France avec Sainte-Anne, à dix ans, à aucun moment je ne pensais jouer pour la sélection française parce que, pour moi, c’était inaccessible.
C'est Raymond Domenech qui m’a appelé en équipe de France des M21. On a fait le Championnat d’Europe et aussi les Jeux olympiques en 1996 à Atlanta. À partir de ce moment-là, je me suis toujours fixé des objectifs.
Quand j’étais en équipe de France Espoirs, je me suis donc dit : « Tiens, pourquoi pas l’équipe de France A ? » Parce que l’équipe de France, c’est juste la marche la plus haute et surtout la marche la plus dure.
J’ai fait mes débuts comme remplaçant contre le Mexique en 1996, avant d’aligner 79 sélections, de remporter la Coupe du monde en 1998 et l’EURO 2000, lors duquel j’ai fait la passe décisive pour le but de David Trézéguet.
France 1998 et France 2000, c’est l’apothéose pour un sportif de haut niveau.
En dépit de ces succès, je ne me suis jamais senti aussi fort que durant la saison 2001/02, juste avant ma blessure, une rupture des ligaments croisés, en mars 2002, qui m’a privé de la Coupe du monde au Japon et en Corée du Sud.
Le sélectionneur envisageait de me confier un rôle important, et j’en avais pris les responsabilités. En plus, sur le terrain, avec par exemple Thierry Henry, Zidane et Patrick Vieira, ça se passait bien. Mais bon, il y a eu la blessure, et puis voilà. Tu ne peux rien faire. En plus, ce n’était pas une petite blessure. Il faut pourtant l’accepter. Je l’ai acceptée et, malheureusement, en 2002, on a été catastrophiques.
Mais je n’ai pas de regrets par rapport à cet épisode. Des regrets, j’en ai quatre. Ne pas avoir été champion de France avec Metz et avec Marseille. Et les deux finales perdues, en Coupe UEFA en 1999 et en Champions League en 2006.
Ça, ce sont des regrets. Les blessures, non, car elles font partie du jeu et on n’y peut rien. C’est comme ça. Mais les défaites, ça fait mal.
Je pourrais avoir quatre titres en plus : ce n’est pas négligeable. Bien sûr, j’ai gagné des titres, la Coupe du monde, l’EURO, la Premier League… Il y en a que pour rien au monde je n’échangerais, mais… champion de France avec Metz, je l’aurais bien inscrit à mon palmarès, vraiment.
Ce que le football m’a apporté
Le football est exceptionnel, car il te permet de voyager, de connaître d’autres cultures, de rencontrer d’autres personnes et de parler d’autres langues.
À aucun moment je n’aurais imaginé, sur le petit terrain de Saint-Anne à Reims, que je jouerais encore au football à 41 ans, en Inde, tout comme, à dix ans, je ne pensais pas jouer pour l’équipe de France un jour et brandir la Coupe du monde, parce que pour moi, c’était un rêve inaccessible.
Et après toutes ces années, je suis très fier, aujourd’hui, que le stade de Saint-Anne porte mon nom.
Terminer ma carrière en Inde a été une grande expérience. Je ne pensais pas voyager dans ce pays, encore moins pour jouer au football.
Mais c’est bien le football qui m’a donné cette chance. En Inde, j’ai perçu encore plus la puissance du sport, qui permet de vivre des émotions, mais aussi de voyager et de rencontrer des gens, d’autres cultures…
C’est incroyable comme le football peut s’introduire dans des pays comme ça, c’est juste fabuleux. Je n’aurais jamais imaginé que le football devienne aussi important dans ma vie.
Je n’oublierai jamais ce que le football m’a apporté. Je suis extrêmement heureux, fier de ce que j’ai fait, de l’éducation que j’ai reçue de mes parents, et de la vie de famille que je peux avoir aujourd’hui, avec ma femme et mes trois enfants. J’ai commencé le football avec mon père à cinq ou six ans, et je vais mourir avec le football, ça, c’est sûr.