Kosovo : de l’ombre à la lumière
vendredi 22 mars 2019
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Sorti d’un passé lourd qui l’a obligé à se développer hors des instances du football mondial, le Kosovo vit, depuis son adhésion à l’UEFA en 2016, une véritable révolution.
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Porté par un développement rapide et une jeunesse talentueuse, le pays des Balkans a des rêves plein la tête. Ses récents succès lors de la Ligue des nations lui permettent déjà d’envisager une participation à l’EURO 2020.
5 septembre 2016. Une page de l’histoire du Kosovo s’écrit sur la côte finlandaise. Au stade Hansa de Turku, l’équipe nationale kosovare s’apprête à disputer son premier match de compétition, à l’occasion des qualifications pour la Coupe du monde 2018. Le président de la république, Hashim Taçi, a fait le déplacement et se tient aux côtés de Fadil Vokrri, la légende du football kosovare. Le président de la fédération kosovare a vécu une journée folle. À quelques heures du coup d’envoi, sa sélection n’a pas encore d’équipe complète. « Nous devions recevoir les autorisations de la FIFA pour pouvoir aligner certains joueurs qui avaient été sélectionnés dans d’autres équipes nationales, raconte Eroll Salihu, joueur emblématique du FC Pristina et secrétaire général de la fédération. Nous n’avions même pas onze joueurs la veille du match. » Les autorisations tombent peu à peu. À cinq heures du coup d’envoi, la FIFA valide la procédure pour six joueurs et permet à l’entraîneur Albert Bunjaki de disposer d’un groupe complet. Le reste n’est que magie. Après l’ouverture du score finlandaise, Valon Berisha marque d’un penalty en pleine lucarne le premier but de sa sélection en compétition. À cette 60e minute, l’ex-Norvégien vient de placer le Kosovo sur la carte du football mondial.
La bataille pour l’adhésion
Dans ce petit pays des Balkans, le ballon rond fait partie de la culture nationale depuis plus de cent ans. Mais la guerre, la fin de l’ex-Yougoslavie puis le statut indéterminé du pays ont obligé le football kosovar à se développer dans l’ombre. L’indépendance arrive le 17 février 2008. La fédération kosovare (FFK) demande son adhésion à l’UEFA et à la FIFA au printemps de la même année, mais devra encore attendre avant d’être admise dans la grande famille du football international. Le pays n’est pas reconnu par une partie de la communauté internationale. Son dossier est refusé car « contrevenant aux statuts de la FIFA ». L’actuel vice-président de la fédération, Predrag Jovic, se souvient : « Fadil Vokrri s’est battu pendant des années. Il arguait que notre pays aimait le football, que nos supporters étaient exemplaires et qu’il n’y avait aucune raison pour empêcher des milliers de kosovars de vivre leur passion pour le football. » En 2014, la FIFA autorise le Kosovo à jouer des matches amicaux internationaux, sans drapeau ni hymne national, mais la FFK ne fait toujours pas partie des grandes instances du football. L’avenir s’éclaire lorsque, le 3 mai 2016, lors du Congrès ordinaire de l’UEFA à Budapest, la majorité des représentants des associations membres votent l’adhésion de la FFK à l’UEFA. Elle devient également membre de la FIFA, dix jours plus tard à Mexico. « À partir de là, tout a changé de manière très rapide et très positive, affirme Eroll Salihu. Nous avons pu organiser notre ligue, jouer dans les compétitions internationales, avoir des droits TV et accéder aux fonds débloqués par l’UEFA et la FIFA. »
Attention terrains pressants
Ce soutien financier va permettre à la fédération de s’attaquer à l’un de ses chantiers prioritaires, à savoir le développement des infrastructures sportives. « C’est l’un des vrais manques de notre pays, reconnaît Sanije Krasniqi, responsable du football de base et entraîneure adjointe de l’équipe nationale féminine. Certains clubs n’ont longtemps eu qu’un seul terrain pour toutes leurs équipes, des catégories jeunes jusqu’à la Superliga. » Un défi pressant dans un pays où la demande de football est chaque jour un peu plus forte. « De plus en plus de joueurs intègrent nos équipes de jeunes chaque année. De 150 joueurs en 2014, nous sommes passés à plus de 300, constate Arton Hajdari, directeur du centre de formation et entraîneur des M19 du FC Feronikeli, club historique de la ville de Drenas, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Pristina. Nous devions construire des terrains pour pouvoir accueillir tout le monde. »
Un message entendu par la fédération qui, après 2016, engage des travaux dans les sept régions du pays. « Très vite, on a pu voir les changements. En 2018, nous avons construit six terrains synthétiques, six autres devraient être livrés prochainement et ce ne sont pas les seuls que nous avons prévu de construire », annonce Predrag Jovic. La sélection pourra également grandir dans un nouveau cocon puisque la construction d’un nouveau stade national de 30 000 places, à une vingtaine de kilomètres de Pristina, a également été approuvée par le ministère des Sports et devrait voir le jour d’ici deux ou trois ans. « Le Kosovo évolue aujourd’hui au stade Fadil-Vokrri, une enceinte de 13 000 places, alors que la demande est très élevée. Ce nouveau stade permettra d’accueillir plus de fans et d’augmenter les recettes de la billetterie », poursuit le vice-président de la FFK.
Entraîner les entraîneurs
Le but de cette mise à niveau est de fournir, à terme, un nombre de terrains et des moyens matériels suffisants pour que les joueurs puissent exploiter au maximum leur potentiel. Un objectif qui nécessite dans le même temps la formation de personnels compétents. C’est là qu’intervient le directeur technique Michael Nees, arrivé au Kosovo dans le cadre du programme de développement international du sport mis au point par le ministère des affaires étrangères allemand. « Nous voulons créer une structure de formation durable, c’est-à-dire développer des équipes techniques au Kosovo qui puissent prendre en charge les jeunes joueurs dans un futur proche, explique l’entraîneur passé par les Seychelles et le Rwanda. Nous étions en retard sur de nombreux points. Nous n’avions pas de programme pour développer des préparateurs physiques, nous n’avons toujours pas d’analystes, alors que les grosses équipes en ont toutes deux ou trois. Mais nous allons pas à pas et nous formons dorénavant des équipes techniques parce que les entraîneurs sont la clef. »Le stratège allemand a mis au point un calendrier pour que la fédération développe, avec l’aide d’instructeurs de l’UEFA, des entraîneurs de licence C, puis B puis A, avec un objectif ambitieux de 500 entraîneurs d’ici 2021, contre un peu plus de 120 aujourd’hui.
Sanije Krasniqi marche main dans la main avec son directeur technique. Avant d’être en charge des écoles de football de la fédération, elle a travaillé comme éducatrice et arbitre dans toutes les catégories de jeunes. Elle connaît très bien le potentiel du réservoir de joueurs kosovars. « Nous avons beaucoup de jeunes joueurs talentueux. Mais c’est surtout le travail des éducateurs qui peut leur permettre d’aller loin. Si nous travaillons bien, nous aurons un avenir brillant, annonce l’ancienne arbitre qui fut aussi la première femme du pays à officier lors d’un match de Superliga masculine. Au Kosovo, 60 % de la population ont moins de 30 ans. Nous sommes un État jeune mais sans un personnel professionnel, c’est compliqué. Jusqu’à 14 ans, les joueurs sont en bonnes mains, mais après la puberté il faut des entraîneurs compétents pour aller au haut niveau. »
Patience : les graines plantées par la FFK portent déjà leurs fruits chez les équipes de jeunes avec des équipes qui font plus que bonne figure au niveau international. « En termes de progression sur les deux dernières années, nous sommes une des meilleures équipes du monde, se félicite Michael Nees. Les M21 ont tenu tête à l’Allemagne, championne du monde en titre (0-0 en septembre dernier à Pristina), pour la première apparition de l’équipe en phase qualificative. Les M17 se sont qualifiés haut la main pour le tour Élite en mars prochain et les M19 ont également été très bons. »
Les filles répondent présentes
Mais les garçons ne sont pas les seuls à maîtriser le ballon. Les jeunes filles kosovares aiment le football et le développement des sections féminines a été l’une des priorités de la fédération depuis l’affiliation en 2016. Mais pour compléter les équipes, il était primordial de faciliter leur inscription dans les clubs. « Parfois, les filles vivent dans des villages et il est très difficile pour elles de jouer, parce qu’elles ne savent pas à qui parler ni comment trouver un club », note Valbona Gashi, directrice du football féminin à la FFK, qui a mené un vaste projet de recrutement dédié aux filles de neuf à 12 ans (Recruiting Girls in Football). Cette initiative soutenue par l’UEFA est l’une des grandes fiertés de la fédération. « Nous avons invité les écoles de tout le pays à participer à des tournois régionaux. Chaque école avait une ou plusieurs équipes et les vainqueurs se qualifiaient pour une grande finale dans la capitale, détaille Valbona Gashi. Les entraîneurs des clubs kosovars assistaient aux rencontres et les entraîneurs des sélections nationales M16 et M19 étaient également là pour observer les jeunes talents. » Mille filles de 99 écoles du pays y ont participé, certaines découvrant pour la première fois le football sur de vrais terrains. « J’étais très émue, enchaîne Valbona Gashi, parce que je voyais parfois les filles pleurer quand elles perdaient le match. Elles étaient tellement motivées. Pour certaines, c’est une joie immense de jouer au football et elles rêvent de jouer dans des clubs, voire de porter un jour les couleurs du Kosovo. »
L’équipe nationale féminine A a joué son premier match et sa première compétition internationale l’année dernière, à l’occasion des qualifications pour la Coupe du monde 2019. Une campagne difficile qui s’est ouverte par un match tout particulier face à l’Albanie. « C’était à la fois très dur et très émouvant, se souvient Salije Krasniqi. Nous avons grandi avec le même drapeau, nous partageons la même histoire… Beaucoup de filles de la sélection albanaise venaient d’ailleurs du Kosovo. Et maintenant nous voulions les battre ! »
À l’instar de l’équipe masculine, l’équipe nationale féminine se compose en majorité de filles évoluant à l’étranger. Le maintien du lien avec les familles parties pendant la guerre, ou avant, et dispersées dans toute l’Europe est naturel. « Nous sommes très connectés avec notre diaspora. Même sans les observateurs ou sans payer quelqu’un pour repérer les joueuses, précise Sanije Krasniqi. La plupart du temps, nous avons des relations avec nos compatriotes qui sont engagés dans le football à l’étranger. Et avec internet, tout est encore plus facile. »
La belle histoire de la Ligue des nations
Avec les Valon Berisha, Benjamin Kololli, Milot Rashica ou Enis Alushi, l’équipe nationale kosovare est portée par des joueurs qui sont nés ou ont grandi à l’étranger. Leur expérience du football de haut niveau en Europe occupe une grande part dans le succès récent de la sélection. Après la première campagne de qualifications pour la Coupe du monde, bouclée avec un point dans un groupe relevé, le Kosovo obtient des résultats probants. Lors des matchs amicaux d’abord, puis lors de la Ligue des nations, où l’équipe a obtenu la première place de son groupe. Le fait de pouvoir jouer dans le stade Fadil-Vokrri, chez eux à Pristina, a été déterminant. « Auparavant, nous jouions nos matches à Skhoder en Albanie, et c’était compliqué pour les supporters de se déplacer. Jouer à Pristina, après la rénovation du stade en 2017, c’était une grande motivation pour les joueurs et pour les supporters, explique Diturie Hoxha, directrice de la communication à la FFK. Face aux îles Féroé, toutes les places sont parties en quelques heures. Il y avait tellement de monde devant la billetterie du stade, on aurait pu croire que c’étaient des manifestations. »
Invaincus dans leur stade Fadil-Vokrri, les hommes de Bernard Challandes sont également sur une série de dix matches sans défaite. « Nous avons fait un grand pas avec la Ligue des nations. Grâce à nos résultats, nous aurons une double chance de nous qualifier pour l’EURO 2020, qui est notre prochain objectif. Je pense que nous finirons deuxièmes de notre groupe de qualifications derrière l’Angleterre, mais même si nous ne passons pas, nous aurons une nouvelle chance de nous qualifier grâce aux barrages », s’enthousiasme Predrag Jovic. Le football kosovar ne voit pas de limites à ses ambitions. La fédération avance par étapes et peut compter sur le soutien des instances sportives mondiales mais aussi sur la passion de ceux qui participent à l’essor du football au Kosovo. À la fédération, en sélection ou dans tous les clubs du pays. « Ça fait 18 ans que je suis là et je ne partirai pas tant qu’on n’aura pas gagné la Ligue des champions, s’amuse Isak Smajli, secrétaire général du FC Feronikeli. Lui et son ami Elmi n’oublieront jamais le passé mais ils voient dans le football un moyen de se relever et d’aller de l’avant. La région de Drenas avait été décimée. Les bombardements avaient détruit 80 % de la ville. Il a fallu reconstruire pierre par pierre les maisons, les terrains… Elmi était présent tous les jours pour rebâtir le club et c’est grâce à des personnes comme lui que le FC Feronikeli est debout aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est une grande fierté et la promesse d’un meilleur futur pour notre ville. » À Drenas, comme partout au Kosovo, le football est plus qu’un sport.
Article publié à l'origine dans UEFA Direct n°183