Les femmes dans le football : cinq figures qui font la différence
vendredi 21 mai 2021
Résumé de l'article
L’UEFA poursuit sa campagne de sensibilisation en mettant à l’honneur l’importante contribution des femmes au développement du football européen.
Contenu médias de l'article
Corps de l'article
Plus tôt dans l’année, l’UEFA a lancé une nouvelle campagne visant à faire connaître l’influence significative des femmes dans la communauté du football européen.
Chaque mois, l’UEFA met en lumière cinq femmes dont le travail contribue à façonner le présent et l’avenir du football, à tous les niveaux du jeu. Que ce soit sur le terrain, devant les caméras ou dans les hautes sphères, chacune des pionnières que nous vous présentons a une histoire inspirante à raconter, offrant un parfait exemple pour inciter davantage de femmes et de filles à laisser leur marque dans le jeu.
Pour ce deuxième volet, nous nous sommes entretenus avec :
• Riem Hussein, arbitre de la finale 2021 de l’UEFA Women’s Champions League
• Sarah Zadrazil, joueuse du Bayern et ambassadrice de la campagne Ensemble #WePlayStrong
• Nora Häuptle, entraîneure titulaire de la licence Pro de l’UEFA
• Priscilla Janssens, directrice de site
• Jessica Carmikli, joueuse du Beşiktaş et maman de deux enfants
Riem Hussein : « L’arbitrage m’a donné une opportunité. Je me sens vraiment privilégiée ! »
Le Dr Riem Hussein était l’arbitre de la finale de l’UEFA Women’s Champions League dimanche à Göteborg. D’origine palestinienne, l’Allemande est arbitre depuis 2005. Ces six dernières années, elle a officié en troisième division masculine allemande, à l’EURO féminin en 2017 et à la Coupe du monde féminine en 2019. Elle combine l’arbitrage avec son activité de pharmacienne.
Comment êtes-vous devenue arbitre ?
« J’étais attaquante en deuxième division allemande. Je marquais beaucoup de buts, mais je me plaignais toujours des arbitres. Je pensais que je pouvais faire mieux. Alors j’ai décidé de le montrer et j’ai pris une licence d’arbitre. Et cela m’a beaucoup plu. Je jouais le dimanche et, dès que je le pouvais, j’arbitrais le vendredi et le samedi. J’ai commencé à me rendre compte que je pouvais faire carrière et aller plus loin. Je pense que les arbitres qui ont été joueurs ont un gros avantage. On a l’esprit du football. Mais il est important d’avoir la bonne mentalité et de bien savoir gérer la pression.
On arbitre à la fois des matches masculins et des matches féminins. » Y a-t-il une différence, et de quelle manière le football féminin s’est-il développé ?
« Dans le football masculin, il y a plus de vitesse et d’intensité. C’est plus dur physiquement. La gestion des joueurs est différente en matière de caractère, mais les matches féminins commencent à être plus physiques aussi. Les joueuses disposent de meilleures conditions pour s’entraîner et faire leur métier. J’ai vu le niveau augmenter, et on sent bien que quelque chose est en train de se développer. Nous, les arbitres, nous avons une responsabilité envers les joueuses : celle de montrer que nous sommes dans la meilleure forme possible. Mon association nationale, mais aussi l’UEFA et la FIFA, nous aident dans divers domaines (condition physique, analyse tactique, amélioration des systèmes de communication sur le terrain et mise en place de l’assistance vidéo à l’arbitrage). C’est un système très professionnel, alors pour moi, il n’y a aucune différence dans l’approche du football masculin et féminin. »
Quels conseils donneriez-vous à une jeune fille qui voudrait devenir arbitre ?
« Suis ton feeling. La motivation doit venir de toi. Personne ne peut te la donner. Si tu veux devenir arbitre, ce serait génial ! On a besoin de bonnes arbitres, de jeunes arbitres, de personnes intéressées par l’arbitrage. Alors voilà, je ne lui dirais rien d’autre. En tant que joueuse, je n’aurais jamais pu jouer une finale de la Women’s Champions League ni connaître un tel niveau à 40 ans. L’arbitrage m’a donné l’occasion de jouer ce rôle important dans de grands matches. Je me sens vraiment privilégiée. »
Sarah Zadrazil : « Notre portée médiatique sera bien plus importante si on permet aux gens de voir encore plus de matches. »
Sarah Zadrazil est milieu de terrain pour le FC Bayern Frauen et l’équipe nationale d’Autriche. Après avoir commencé à jouer au football à l’âge de cinq ans, elle a débuté sa carrière à l’université aux États-Unis, avant de revenir en Bundesliga au Turbine Potsdam. Elle est aussi ambassadrice du programme de l’UEFA Ensemble #WePlayStrong, qui met en scène la future génération de joueuses et de supportrices et supporters de football féminin à travers des vidéos postées sur les réseaux sociaux aux côtés de leurs amies et coéquipières.
Le football féminin états-unien a dominé la scène mondiale pendant de nombreuses années. Le football européen a-t-il refait son retard ?
« J’ai toujours rêvé de jouer aux États-Unis, car là-bas, le football féminin était si populaire. Ce fut dur au départ, mais je suis heureuse d’y être allée. Ça a été une grande expérience. Aux États-Unis, le football a toujours été un sport de femmes, avec des stades pleins et une ambiance extraordinaire pendant les matches. On devrait s’en inspirer ici, en Europe. Sur le terrain, je pense que nous avons une meilleure qualité technique en Europe, maintenant. Le football a progressé à tous les niveaux. Le jeu est bien plus rapide, plus physique, mais aussi plus technique, et ça se voit sur le terrain. Le rythme est élevé. Il faut rester concentré, car ça va plus vite aujourd’hui. »
Comment le football féminin peut-il poursuivre son développement en Europe ?
« Notre portée médiatique sera bien plus importante si on permet aux gens de voir encore plus de matches à la TV. Je pense qu’il est aussi essentiel de soutenir les plus petits clubs, pour que les championnats nationaux restent compétitifs. On peut voir la différence entre un club de football féminin comme le Turbine Potsdam et des clubs comme le Bayern, qui peut compter sur un énorme investissement de la part de l’équipe masculine. C’est génial de voir de grands clubs s’impliquer et soutenir le football féminin, offrant les meilleures infrastructures et beaucoup d’attention aux joueuses. Mais j’aimerais que tout ceci soit disponible pour tous les clubs, pour qu’ils puissent continuer à grandir et à être compétitifs. »
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles qui voudraient avoir le même parcours que vous ?
« Il faut se faire plaisir en jouant au football, et ne pas se mettre trop de pression. La notion de plaisir est capitale, et c’est comme ça que j’ai toujours abordé mes matches. Et c’est encore le cas. Je suis super privilégiée de faire ce métier extraordinaire. Il faut croire en soi et faire beaucoup de sacrifices. Ce n’est pas toujours drôle, mais au final, le jeu en vaut la chandelle. Alors oui, croyez en vous-même et saisissez les occasions qui se présentent. À travers nos vidéos Ensemble #WePlayStrong, on aime montrer que nous sommes un groupe d’amies et ce qu’implique le football féminin en dehors du terrain. C’est un super projet, et je pense que c’est bien de donner aux jeunes filles un accès aux plus grandes joueuses. »
Nora Häuptle : « Le football a un immense pouvoir moteur dans le monde entier. C’est un grand vecteur d’espoir, même dans les périodes difficiles. »
Joueuse internationale suisse, Nora Häuptle a rapidement endossé le costume d’entraîneure. Elle a contribué au développement des équipes juniors du FC Thoune, avant de se spécialiser dans la préparation physique dans le monde du tennis professionnel mondial. De retour dans le football pour prendre les rênes de l’équipe féminine suisse des moins de 19 ans, elle a guidé les joueuses jusqu’en demi-finale du Championnat d’Europe en 2016, et était jusqu’à récemment la seule femme entraîneure principale d’une équipe de Bundesliga féminine, au SC Sand. Titulaire d’une licence Pro de l’UEFA, elle a également participé au Programme de mentorat des entraîneures de l’UEFA.
Qui vous a poussée vers une carrière dans le football quand vous étiez plus jeune ?
« Dans ma jeunesse, je n’avais que des idoles masculines, comme Alain Sutter ou Andy Egli, qui, ironie du sort, sont à présent tous les deux dans le football féminin. Mais à l’âge de 16 ans, je suis allée aux États-Unis pour la Coupe du monde féminine 1999. C’était énorme ! Il y avait 80 000 personnes dans les stades, et pour nous qui venions de Suisse, c’était juste inimaginable. Je me souviens d’un magasin de sport où il y avait un immense mur couvert de posters de 25 mètres de haut avec Michael Jordan et Mia Hamm. C’était la première fois que je voyais une star du football féminin, et après cela, Mia Hamm est devenue mon modèle. »
Vous avez été la seule femme entraîneure en Bundesliga. Pourquoi n’y en a-t-il pas plus ?
« Je pense qu’il est important d’encourager davantage les filles dans le football de base, pour leur donner des occasions et leur enlever la peur de ne pas être assez performantes. Les femmes ont tendance à se poser plus de questions, et je pense qu’il faut leur ôter ces inhibitions dès le début de leur carrière pour leur montrer qu’elles ont le droit de faire des erreurs et de s’améliorer. Je pense qu’ainsi, on pourrait avoir beaucoup d’entraîneures de qualité, qui auraient beaucoup à offrir. Le football a un immense pouvoir moteur dans le monde entier. C’est un grand vecteur d’espoir, même dans les périodes difficiles comme cette pandémie. J’aimerais que toutes les femmes aient la chance de participer à ce sport. »
Quels sont les changements qui, selon vous, sont en cours dans le football féminin ?
« Le football masculin a plus de 100 ans, mais le développement tactique et la dynamique du jeu ont énormément changé au cours des vingt dernières années. Je pense que le football féminin peut s’inspirer rapidement de cette évolution. Par exemple : quand la gardienne devient une onzième joueuse de champ en période de possession du ballon, ou quand, en phase défensive, elle doit couvrir des angles différents de ceux des gardiens, car les femmes sont plus petites. Ainsi, des secteurs particuliers aux femmes comme le développement physique, le renforcement musculaire, le respect du cycle menstruel et la prévention des blessures sont des points qui sont aussi appelés à se développer. Il est très important, quand on est coach, de voir où le football va pour être en avance par rapport aux autres et pour savoir dans quelle direction il faut aller.
Priscilla Janssens : « Ne vous souciez pas des 10 % que vous ne savez pas faire, concentrez-vous sur les 90 % que vous maîtrisez ! »
Née au Brésil de parents néerlandais et anglais, Priscilla Janssens a le football dans le sang. Son parcours sportif a débuté à l’Ajax, où elle aidait les nouvelles recrues à s’adapter à la vie aux Pays-Bas. Elle a ensuite travaillé en tant qu’accompagnatrice d’équipe à l’EURO 2004, avant de devenir la première femme directrice de site, un important rôle organisationnel qui consiste à s’assurer que les matches se déroulent sans problème. Elle a depuis travaillé sur plusieurs compétitions majeures de l’UEFA et de la FIFA, et est devenue cofondatrice de la Dutch Vrouwen Eredivisie (première division féminine néerlandaise) en 2007.
Vous avez une incroyable expérience en tant que première femme directrice de site. Dans quelle mesure la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté ce rôle l’année dernière ?
« L’impact a été énorme. L’organisation des matches est plus compliquée, et il faut faire attention à tout ce qu’on fait. Il y a un nombre restreint de personnes autorisées dans chaque zone. Tout doit être désinfecté, et c’est un vrai défi de faire en sorte que tout se déroule sans encombres. Quand les matches ont repris en août dernier, j’ai officié lors de sept rencontres de phase finale interclubs. Je me suis sentie si privilégiée d’être à un match de football. Mais j’avais également le poids de la responsabilité de veiller à ce que tout se passe bien. Cette situation a demandé beaucoup de patience et de flexibilité de la part de tout le monde, y compris les équipes. Mais chacun a compris ce qui était nécessaire pour que les matches puissent se jouer. »
Quelles sont les compétences à avoir pour réussir dans une fonction comme celle-ci ? Et quels conseils donneriez-vous aux femmes qui souhaitent entrer dans le monde du football ?
« Je pense qu’il faut savoir rester calme sous la pression et avoir une bonne capacité de résolution de problèmes. Il est aussi important de savoir défendre son territoire. Quant aux conseils que je peux donner aux femmes, la première chose est de savoir ce qu’on veut et ne pas hésiter quand une occasion se présente. Les gens ne peuvent pas vous aider s’ils ne savent pas ce que vous voulez. Ne vous souciez pas des 10 % que vous ne savez pas faire, concentrez-vous sur les 90 % que vous maîtrisez. Vous ferez peut-être une erreur, mais cela vous servira de leçon. On apprend toujours de nos expériences. »
La nouvelle formule de l’UEFA Women’s Champions League va permettre au football féminin de passer un cap. Quels sont les autres changements que vous aimeriez voir ?
« Je pense que cette nouvelle formule est fantastique et qu’elle va permettre au football féminin d’avancer. À l’aube de la nouvelle saison, je sais que l’UEFA a travaillé dur pour que d’autres femmes deviennent directrices de site, avec plus de matches en Women’s Champions League et le lancement de l’Europa Conference League. De plus, grâce à l’expérience des directeurs de site et des managers diffusion, le système de commercialisation centralisée des droits médias à partir des phases de groupe permettra à toute l’organisation de franchir un nouveau palier. Les recettes supplémentaires provenant des droits TV et du sponsoring aideront les clubs à développer leurs infrastructures et leur professionnalisme. Et j’aimerais que les joueuses gagnent plus d’argent au cours de leur carrière. Ces évolutions prennent du temps, mais j’espère qu’elles arriveront, car les femmes travaillent aussi dur que les hommes. Elle se consacrent tout autant à leur carrière. »
Jessica Carmikli : « J’ai prouvé aux femmes qu’on pouvait être maman et sportive professionnelle ! »
Une « soccer mom » dans le vrai sens du terme, Jessica Carmikli, née aux États-Unis, allie sa carrière de joueuse professionnelle au Beşiktaş (Turquie) à l’éducation de ses deux jeunes enfants. Après avoir été éloignée du football à la suite de son arrivée en Europe, elle est revenue à deux reprises après la naissance de chacun de ses enfants. Elle compte même une sélection en équipe nationale de Turquie. Jessica Carmikli travaille également comme coordinatrice communications au Beşiktaş et, une fois sa carrière de joueuse terminée, elle a envie de se consacrer au développement du football féminin.
Après avoir rejoint l’Europe avec les sélections d’Espagne et de Russie, vous avez arrêté de jouer vers 25 ans, à un moment qui aurait pu être l’apogée de votre carrière…
« J’ai grandi et joué aux États-Unis, où le développement du football féminin était déjà bien établi. Je n’ai pas réalisé la chance que j’avais jusqu’à ce que j’arrive en Europe, en 2009. Ce qui me frustrait et me mettait en colère, c’était de voir les conditions dans lesquelles les femmes jouaient. J’étais si déçue de ne pas pouvoir jouer au football et gagner ma vie comme je le faisais aux États-Unis. Alors pendant six ans, j’ai travaillé en tant que professeur d’anglais et dans le management du sport au sein de clubs de tennis. La situation est bien meilleure à présent. Et quand d’autres grands clubs de football masculins arriveront dans le football féminin, on va voir une différence importante. Beaucoup disent : « Nous soutenons les femmes et nous croyons en l’égalité », mais s’il n’y a pas d’équipe féminine à ce moment-là, alors on a un train de retard. »
Vous avez signé au Beşiktaş en 2016, et vous avez eu deux enfants depuis. Quel parcours incroyable !
« Au fond de moi, j’ai toujours su que je retrouverais le chemin des terrains. J’ai eu la chance de voir mes deux enfants grandir alors que je faisais partie de l’équipe. En Turquie, le stéréotype, pour une nouvelle maman, c’est de rester à la maison et de mettre fin à sa carrière. J’ai réussi à montrer aux femmes qu’on peut être à la fois une maman et une sportive professionnelle si on est bien soutenue. Quand j’entends mes coéquipières dire qu’elles veulent des enfants et suivre mon exemple, j’en ai les larmes aux yeux. C’est génial que je ne sois plus la seule maman de l’équipe. Quand j’ai décidé de rejouer après ma maternité, j’avais la motivation de prouver que les gens avaient tort. Et je savais que si je travaillais dur, j’y arriverais. Après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai réussi à retrouver les terrains après seulement trois mois. Il ne devrait y avoir aucune limite imposée, car chaque femme et chaque grossesse sont différentes. »
Est-ce que le football est en train d’offrir des moyens plus adaptés aux joueuses et aux équipes, et comment voyez-vous la suite ?
« J’ai la chance qu’au Beşiktaş, on me donne ma propre chambre pour les matches à l’extérieur. Je ne la partage pas avec une coéquipière. Cela me permet de m’occuper des enfants et de voyager avec la nounou. C’est rassurant et cela vous motive pour reprendre le football. Le nouveau règlement de l’UWCL est très bien aussi, car il permet de protéger les clubs quand une joueuse est enceinte. Elle n’a pas besoin de revenir trop vite à la compétition, car c’est une épreuve physique et psychologique. C’est un effort collectif, mais justement, le travail d’équipe, c’est le propre du football. »