Gullit sur l'EURO 88 : un moment d'histoire
mercredi 5 février 2014
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Avec le soutien du sélectionneur Rinus Michels, de son partenaire en attaque Marco van Basten et de... Whitney Houston, Ruud Gullit s'est surpassé.
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Ruud Gullit aurait pu céder sous le poids de la pression au Championnat d’Europe de l’UEFA 1988, incapable de réitérer ses exploits qui lui avait permis d’être gratifié du Ballon d’Or. Mais avec le soutien du sélectionneur Rinus Michels, de son partenaire en attaque Marco van Basten et de Whitney Houston, il a relevé le défi haut la main.
Trente-deux minutes s’étaient écoulées en finale quand Erwin Koeman envoyait un centre aérien dans la surface à Munich. Marco van Basten sautait de tout son long pour remettre le ballon de la tête. Et alors qu’une vague de joueurs soviétiques tentait de récupérer le cuir, un maillot orange faisait son apparition. C’était le moment que Ruud Gullit avait tant attendu : il sautait, enveloppait le cuir de ses célèbres tresses et ne laissait aucune chance au gardien Rinat Dasaev. L’heure de gloire des Pays-Bas était arrivée.
Au terme du temps réglementaire, Van Basten avait envoyé dans les filets sa volée phénoménale et Hans van Breukelen avait empêché Igor Belanov de marquer d’une belle parade. Les Pays-Bas s’imposaient 2-0. Et alors que Gullit emmenait les siens récupérer le trophée, le temps s’arrêtait. "C’est comme dans un film, vous n’êtes plus là", dit-il. "Vous savez que vous avez le trophée, vous êtes comme un fou. C’est comme si vous étiez seul au monde. Vous le regardez et tout à coup, vous vous demandez si tout cela est réel. Il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens pas."
La fête qui suivait y est sans doute pour quelque chose, tout comme la lame de fond de joie et de soulagement. Et pourtant, l’ambiance était bien différente quinze jours plus tôt, quand une défaite 1-0 face à l’URSS obligeait les Oranje à hausser le rythme pour la suite. "Le pire, c’est que pendant le tournoi de 1988, on a joué notre meilleur match contre l’Union soviétique, le premier, alors qu’on a perdu sur contre-attaque", se souvient Gullit. "C’était difficile à avaler car on trouvait qu’on avait été meilleurs, mais on n’avait pas pu le prouver. À partir de là, on se devait de gagner."
Cependant, personne n’attendait une victoire finale de leur part, eux qui n’avaient pu se qualifier pour les trois dernières phases finales. Pourtant, le football néerlandais était en plein essor. Trois semaines plus tôt, en Allemagne de l’Ouest déjà, Guus Hiddink s’était adjugé la Coupe des champions avec le PSV Eindhoven, pourtant privé de Gullit, qui avait rejoint Van Basten à l’AC Milan l’été précédent pour un transfert record. Et alors que ce dernier éprouvait des difficultés à s’adapter à sa nouvelle vie en Italie, Gullit brillait. Ce succès n’avait toutefois pas que des effets positifs.
"Il y avait une pression énorme sur moi car j’avais réalisé une excellente saison. Tout le monde s’attendait à ce que je fasse la même chose. Mais j’étais fatigué, je n’ai pas réussi", avoue-t-il. Heureusement pour lui, le joueur de 25 ans pouvait compter sur une sélection vedette. La colonne vertébrale des Pays-Bas était particulièrement redoutable : le gardien Van Breukelen protégé par Frank Rijkaard et Ronald Koeman, un duo de défenseurs centraux pouvant s’avancer à volonté grâce au travail incessant de Jan Wouters et d’Arnold Mühren, en pleine renaissance à l’âge de 37 ans.
Côté offensif, Van Basten ne ressentait aucune fatigue puisqu’en raison d’une blessure, il n’avait disputé que 11 rencontres alors que les Rossoneri gagnaient le Scudetto. Pendant que Gullit tirait ses jambes lourdes jusqu’en finale, son partenaire était frais comme un gardon, comme l’a découvert l’Angleterre, son prochain adversaire. "Heureusement pour moi, Marco était en pleine forme", affirme Gullit. "Je me suis contenté de lui donner le ballon aussi vite que possible. Contre l’Angleterre, je l’ai servi deux fois et il a marqué à chaque fois."
Van Basten inscrivait son troisième but à un quart d’heure de la fin, donnant ainsi raison à Rinus Michels qui avait abandonné son 4-3-3 en faveur d’un 4-4-2 pour accommoder son attaquant. Les Pays-Bas étaient enfin partis, même s’ils frôlaient la catastrophe face à la République d’Irlande contre laquelle la victoire était obligatoire. Soulagé de voir la tête de Paul McGrath repoussée par le montant, Wim Kieft inscrivait le but de la victoire à huit minutes de la fin après une volée ratée de Ronald Koeman. "Nous avons eu de la chance", admet Gullit.
De la chance, les Pays-Bas en méritaient face à la RFA en demi-finale. Les Oranje n’avaient plus battu leurs grands rivaux depuis 32 ans, et avaient surtout terminé sur la deuxième place du podium en Coupe du Monde de la FIFA 1974 (également en Allemagne). Lothar Matthäus et Ronald Koeman marquaient chacun sur penalty en deuxième période, avant que Van Basten n’applique le coup de grâce à deux minutes de la fin. Servi en profondeur par Wouters, il glissait une frappe croisée à ras de terre dans le petit filet opposé.
"Gagner contre l’Allemagne en Allemagne était tout bonnement incroyable. On se sentait invincibles", raconte Gullit, qui passait une grande partie du match à essayer de se débarrasser d’Ulrich Borowka. "Le sentiment était étrange après avoir vu les images aux actualités néerlandaises. On n’a pas tout de suite compris. Mais après deux ou trois jours, vous comprenez soudainement ce que vous avez accompli."
Cette victoire était tellement particulière qu’un recueil de poèmes fut écrit en son honneur. Pendant ce temps-là, Gullit fêtait l’événement de façon énergique. "J’ai organisé une fête dans une discothèque pour tous les joueurs, les femmes des joueurs, les journalistes, les supporters, tout le monde. La veille de la finale, on est allé à un concert de Whitney Houston, vous imaginez ? Donc le jour de la finale, on s’est dit : “Allez, on a fait la fête, on a vu Whitney Houston, maintenant on peut le gagner ce trophée !”" La fatigue n’entrait plus en compte à ce stade de la compétition.
Boîte de nuit et Whitney Houston ? Cela ne semble pas coller au style que Michels était censé imposer. Pourtant rien d’étrange pour Gullit : le groupe connaissait ses limites et ses responsabilités, et si le coach leur faisait confiance, ils avaient quartier libre. En revanche, écartez-vous du droit chemin et la sentence disciplinaire tombait. "Il était dur mais pas tellement avec nous. Un jour, je lui ai dit: “J’ai entendu toutes ces histoires sur vous. Pourquoi n’étiez-vous pas comme ça avec nous ?” Il m’a répondu qu’on était déjà des professionnels, qu’il n’avait rien à ajouter (de ce côté-là).
"Mais il était dur en tant qu’entraîneur. Je n’étais pas en bonne forme, j’étais fatigué donc je n’avais pas le droit de tirer les coups francs. Ronald Koeman était là pour ça. En finale, j’avais retrouvé ma forme. J’avais beaucoup dormi et j’avais eu de nombreux massages. Rinus Michels le savait bien donc avant la finale, il m’a dit “Tu peux tirer les coups francs maintenant que tu te sens mieux”. Ça m’a aidé et j’ai éprouvé un grand soulagement en marquant, peu après avoir vu un bon coup franc repoussé par Dasaev."
"On a joué notre jeu à Munich, on a pris l’initiative et on a bien fait attention à être impitoyables à chaque occasion. Mais (l’URSS) était en bonne forme aussi, ils avaient une bonne équipe, donc c’était difficile, surtout au milieu. Au final, on a marqué des buts splendides, surtout celui de Van Basten. Il pourrait le retirer un million de fois, il ne remarquerait jamais un tel but."
Van Basten avait en effet le dernier mot. Sur un centre de Mühren, il envoyait en toute confiance une volée d’un angle impossible au-dessus du meilleur gardien d’Europe, dans le filet opposé. Et cela était tout à fait à propos de voir Gullit mener ses troupes en haut des marches de l’Olympiastadion pour récupérer le premier trophée majeur des Pays-Bas, même s’il ne s’en souvient plus.
"Je me souviens du retour aux Pays-Bas pourtant", plaisante-t-il. "On est monté dans l’avion et le capitaine a eu la bonne idée de voler au-dessus d’Eindhoven. On a donc fait coucou à tout le monde avec l’avion, comme ça (il écarte les bras et fait l’avion). Je lui ai dit : 'Posez l’avion en toute sécurité et après on pourra faire la fête !'"
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